Démon et Dragon [PV Alayne Wyvern][Inachevé]

J'avais pris l'habitude, à présent, de me balader sur Terre lorsque le temps me paraissait trop long devant ma prison. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis sorti ces derniers temps, et cette excursion était semblable à la plupart des autres.

Bien entendu, certaines de ces excursions avaient un but précis. Depuis ma première sortie et ma rencontre avec Garance, j'avais pris goût au fait d'enseigner. Partager son savoir était quelque chose d'unique, et, en tant que professeur, j'en apprenais tout autant que mes élèves. Ces élèves étaient quatre, très exactement. Evidemment, il m'arrivait de dispenser mon savoir lors d'autres cas, comme pour Garance, mais ces quatre personnes possédaient un potentiel qui méritait que l'on s'intéresse de près à eux.

Aujourd'hui, j'étais de sortie, non loin de la cité de Myth. Du moins, suffisamment près pour encore distinguer au loin les murailles de l'immense cité. Pour cette sortie, j'avais juste décidé de prendre l'air, de ne faire qu'un avec les vents.

Ma spécialité résidait dans la magie de l'Air, après tout. Il fut un temps, lorsque j'étais encore un ange, où je pouvais profiter des vents autant que je le désirais. Hélas, depuis que j'étais tombé aux Enfers, je ne pouvais pas dire que la brise venait souvent me chatouiller, au fin fond de mes prisons.

C'est alors que je ressentis, non loin de moi, une forte présence. Alors que je me trouvais seul à des lieues à la ronde, j'avais laissé mon aura s'étendre, et mes sens vagabonder à l'intérieur, ne pensant trouver personne. Et même si c'était le cas, cela n'aurait pas dû poser de problème.

En temps normal.

Car ce qui avait pénétré mon aura n'était pas n'importe quel être : un être de très grande puissance, ne dégageant ni lumière comme les êtres célestes, ni ombre comme mes chers camarades infernaux. Cela ne pouvait être qu'un membre de l'une des plus puissantes races...

Un dragon.

Et nul doute qu'un tel être avait ressenti mon aura...

Invité

Je reprends ma forme humaine à l'abri des regards, sous les arbres, encore grisée de la sensation de l'air glissant sur mes écailles et des vents claquants contre le cuir de mes ailes.
Les Humains sont à cet égard bien malchanceux, eux qui, cloués au sol, ne connaîtront jamais ces impressions que l'on a en volant.

Celle d'être le maître du monde qui nous entoure.
Celle que l'on a à voir le monde de haut.
Celle que l'on a d'être vraiment libre.
Celle que l'on a à se sentir invincible.

Je retrouve ces sensations avec un plaisir certain à chaque fois que j'ai l'occasion de prendre mon envol. Elles me permettent de conserver un semblant d'équilibre mental.
Occasions qui du reste se font de plus en plus rares.
Car pour les citoyens de Myth, je suis ce qu'il convient d'appeler une légende. Et il n'est jamais bon de réveiller les vieilles histoires enfouies dans le passé.

Les Humains ne m'ont jamais intéressé, pas plus que les Elfes et les misérables créatures incapables de voler que compte cette terre. Je suis plus ancienne que la plupart d'entre eux, voir que toutes les générations actuelles. Et il y a de fortes chances pour que je sois encore là bien après que leurs villes ne soient plus que ruines et poussière.
Ils sont comestibles et ils utilisent de l'or, une des valeurs les plus sûres à mes yeux, comme monnaie. C'est bien leur seul intérêt.

Ma mémoire porte jusqu'à des temps immémoriaux, et j'ai même vu l'invention des concepts d'ange et de démon. C'est dire.
J'ai assisté à la chute de Lucifer. J'ai assisté à leur stupide guerre. De très loin, comme tous ceux de mon espèce.
Ces créatures sont aussi inintéressantes que celles dont elles sont sensées être les supérieures.
Elle sont plus dangereuses, c'est tout, et je ne crains ni Dieu ni Diable.
Je ne les accepte pas. Je les tolère, tout au plus, sur mon territoire de chasse céleste qui s'étend sur d'innombrables lieues autour de Myth.
En général, ils ne restent jamais longtemps, avant que la population ne sortent les torches et les fourches et ne se livre à un de ces délires purificateurs dont là encore je n'ai jamais saisi l'intérêt en plus de huit milles ans d'existence.
Et s'ils sont assez malins pour leur échapper et qu'ils empiètent sur mon terrain de chasse, et bien...tant pis pour eux.

Je suis, et de loin, la créature la plus dangereuse des environs. Même si les misérables choses à deux pattes dont j'adopte l'apparence par commodité et que je fréquente tous les jours dans les ruelles puantes de la ville, qui me marchent sur les pieds, me bousculent ou mettent leurs mains dans des endroits inappropriés sont loin de s'en douter. Quoique dans le dernier cas, l'ultime chose qu'ils risquent de vivre a de fortes chances d'être la perception d'un rugissement de bête fauve suivi d'une intense chaleur.

Car c'est ce que je suis. Un fauve.
Et aujourd'hui, je chasse.

Le vent m'apporte toutes sortes d'odeurs. La puanteur de la ville, imperceptible pour un être humain, mais qui agresse mes narines sensibles.
Le sang en est une des composantes. Il y a des meurtres tous les jours à Myth.
Quatre, ce matin. Deux femmes, un homme et un succube.
Dont un est de mon fait. Grassement rémunéré d'ailleurs.
Gèrer ce flot d'informations olfactives demande beaucoup de concentration. Le reste du temps, j'en fait abstraction.
D'autant que, même pour un membre de mon espèce, mon odorat est très développé, pour compenser mon champ de vision réduit de moitié par une blessure à l'oeil. Je sens les choses avant de les voir.

J'inspire à fond.
Le vent a tourné. Il y a quelque chose de nouveau. Quelque chose qui n'appartient pas au monde physique et qui pue la magie à plein nez.
Cette chose n'est pas dans le vent. Elle EST le vent.

Je sonde les environs à l'aide de ma magie.
La chose, ou plutôt lui, car c'est un lui, son aura autant que son odeur ne me trompent pas, est au dessus de moi, planant paresseusement sur un alizé.
Il est ancien. Très ancien. Bien plus que moi. Et puissant. Une ombre.

Je retrousse les lèvres sur mes dents et laisse échapper un grondement.
Démon.

Il sait probablement déjà que je suis là et ne se cache même pas. Un tel comportement m'aurait d'ordinaire intrigué. Mais il se trouve sur mon territoire.
Et la Bête, ici, c'est moi.

Prenant une grande inspiration, je pousse un long rugissement d'avertissement. J'aime faire croire aux gens qu'ils ont une chance de s'enfuir, que je leur laisse parfois. Avant de les réduire en cendres.

Un long rugissement. Un avertissement. Le dragon, sous forme humaine, avait décidé de m'avertir que je me trouvais sur son territoire. Et le rugissement était directement ciblé sur mon esprit vagabondant.

Les sens d'un dragon étaient surprenants, même sans l'utilisation de la magie, je devais l'admettre.

Alors que je réattribuais mon esprit à mon corps de chair et d'os, et que je rassemblais à nouveau mon aura pour la contenir dans mon corps sous la forme d'une flamme d'un bleu très sombre, je me préparais mentalement à cette rencontre.

Ce cri, ce rugissement... Au-delà de l'avertissement, il y avait une rage, une fureur. Ayant vécu seul pendant des millénaires, j'étais bien en peine de déterminer si cette rage était propre à la race des dragons, ou bien si son avertissement n'était là que pour impressionner la galerie avant de m'attaquer. Dans tous les cas, il y avait une variable qui ne changerait point : jamais je ne m'abaisserai devant autrui, qu'il s'agisse de Dieu, Satan, ou bien même un dragon. J'avais courbé l'échine trop longtemps, attendant patiemment, ne faisant rien de mes jours, gardant cette prison sans le moindre intérêt.

Et ces jours étaient révolus.

Je sentais le dragon approcher. Je sentais la rage. Je sentais la chaleur de son âme. Je sentais le feu de son corps. Et malgré cela, je restais fidèle à mon titre. Je sentais le froid de mon âme. Je sentais la glace de mon coeur.

Je sentais la confrontation arriver entre ces deux antipodes.

Je ne bougeais pas de ma position. J'attendais. Je rassemblais à moi la magie. J'attendais. Je libérais une portion de ma force. J'attendais. Les tatouages apparurent sur le dos de mes mains. Et j'attendais toujours.

J'espérais toujours pouvoir régler les choses de manière pacifique. J'espérais toujours pouvoir calmer la rage en autrui. J'espérais toujours ne pas avoir à en venir à un combat. J'espérais toujours ne pas avoir à en venir à un massacre. J'espérais toujours ne pas avoir à tuer pour des raisons aussi futiles.

J'espérais.

Mais dans le cas présent, les choses s'annonçaient difficiles. Tant pis. Si on devait réellement en arriver à ce point, je n'aurais pas d'autre choix.

Je la ferai redevenir poussière.

Invité

Il ne fait pas mine de vouloir s'en aller. Ce démon a du cran. Plus que la plupart de ses congénères, en tout cas.
Je ferme les yeux (ou plutôt l'unique oeil qui me restait) pour mieux analyser son odeur et son aura.

Il est vieux. Très vieux. Bien plus que moi, qui ne suis pourtant plus de première jeunesse.
Et froid.
Je sens le froid qui palpite littéralement en lui, d'une puissance dévastatrice. Le genre qui vous exécute en trente seconde.
Le feu et la glace. Il est malin. Je ne sais pas si il a déjà affronté un dragon, mais c'est intéressant comme stratégie.
Décidémment, je ne l'aime pas.

Pourtant je suis curieuse. On ne rencontre pas un démon supérieur tous les jours. Et le plus souvent, on ne survit pas assez longtemps pour le raconter.

Lentement, je laisse la fournaise qui dort au fond de mes entrailles se réveiller. Juste assez lentement pour qu'il ne le remarque pas. C'est comme de souffler sur des braises.
Le problème avec les démons supérieurs, c'est que si vous faites une erreur, une seule, vous êtes morts.
Et le problème avec moi, c'est que je ne fais jamais d'erreurs. Jamais. Un oeil, c'est déjà suffisant.
Et il y longtemps que je n'ai pas eu d'adversaire à ma mesure. Pour la pure et simple raison qu'il n'y en avait pas. Ou que je les ai tués.

Je le sens qui se déplace.
Je n'ai pas le temps de reprendre ma forme draconique. C'est beaucoup trop long et ça consomme beaucoup trop d'énergie magique. Et j'en ai besoin.
Donc je l'affronterais sous forme humaine.
Si affrontement il y a. Parce que si MOI, je ne fuis jamais, LUI peut encore se défiler au dernier moment et rentrer en Enfer la queue entre les jambes.
La plupart des démons que j'ai croisés étaient comme ça.

Il est dans mon angle mort pour le moment, mais ce n'est pas gênant.
N'importe quel magicien de bas niveau pourrait repèrer une telle quantité de magie.
C'est une autre raison pour laquelle je n'aime pas les démons. Ils sont tellement arrogants qu'ils ne se cachent même pas.
C'est pour ça que c'est assez drôle de voir les péquenots du coin en brûler un.
Et j'aime l'odeur de la chair grillée. Ça me donne faim. Même si les démons ne sont pas ce qu'il y a de plus savoureux.

Dans quelques secondes il va entrer dans mon champs de vision et je vais décider si je le carbonise tout de suite ou si j'engage une conversation sachant qu'il finira en torche vivante de toute façon.
Je suis comme ça. J'ai quasiment l'éternité pour vivre alors je prends mon temps.

Il se matérialise brusquement devant moi. La géhenne dans mon ventre est prête à sortir et je la sens remonter dans ma gorge. Mais je la tempère un peu et je ne bouge pas.
Connais ton ennemi. Un principe Humain, et pour une fois ces misérables bipèdes ont raison.
Comme je m'y attendais, son apparence est à l'opposé de la puissance révélée par son aura.
Les démons ne sont jamais ce qu'ils semblent être.
Pour un peu, j'aurais pitié de lui.

Il est frêle, presque gracile, voire efféminé, et je retiens un reniflement dédaigneux.
Sa peau est d'une paleur presque opalescente, et ses yeux sont écarlates sous sa frange de cheveux de jais en bataille.
Il a une coiffure assez bizarre d'ailleurs. Sans doute une mode démoniaque. Ses cheveux forment des sortes d'oreilles sur sa tête.
Décidémment, je ne comprendrais jamais les démons.
On dirait un gamin humain qui aurait grandi sans jamais voir le soleil.

Mais encore une fois je me méfie. Je ne vais peut-être pas le réduire en cendres tout de suite finalement.
Il est dangereux, indubitablement. Il me renverrait peut-être mon attaque en pleine figure, et ce n'est jamais agréable, même si sans danger pour moi.
Je suis le feu. Le feu ne tue pas le dragon.

Nous nous observons en silence pendant quelques instant. Il est aussi curieux que moi, apparemment.
Ou peut-être raisonne-t-il de la même façon.
Connais ton ennemi.

"Tu as plus de tripes que je ne m'y attendais, démon." finis-je par lâcher.

"Tu as plus de tripes que je ne m'y attendais, démon."

Des tripes ? Hin... Plutôt du sang froid... et de la fierté. Je ne reculais devant personne. Personne. Lucifer et Dieu ne faisaient pas exception à cette règle, alors que pouvais-je bien craindre d'un dragon ?

Cette forme humaine, devant moi, était celle d'une jeune femme de grande beauté, bien qu'ayant un air sauvage qui ne trompait personne. Du moins, personne n'étant un minimum renseigné sur les dragons.

Alors que je la toisais du regard, cette dragonne un peu trop enragée à mon goût me montra les crocs. J'avais auparavant entendu dire que les dragons étaient des créatures très intelligentes et sages, mais j'imagine qu'il pouvait y avoir des exceptions partout... Et encore une chance que je ne pensais pas cela à voix haute, moi et ma fâcheuse manie de provoquer.

Malgré cela, je sentais sa colère s'embraser. Petit à petit, certes, mais j'étais sensible à tous ces changements qui m'entouraient. Après tout, elle était toujours à l'intérieur de mon aura. Elle était manifestement prête à en découdre.

Poussant un soupir intérieur, je tentais de trouver les mots qui pourraient calmer cette dragonne. Hélas, pour cela, je devais éviter de la froisser, et je ne voyais pas comment répondre à sa provocation sans passer par une réplique cinglante de mon cru. Un problème épineux, en somme. Je voyais mal comment me sortir de cette impasse. Bien entendu, un affrontement ne me faisait pas peur, et en passer par là ne déplairait visiblement pas à la dragonne. Du moins, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle avait affaire à plus forte qu'elle-même.

Peut-être que si je ne pouvais pas la calmer par la parole, alors peut-être pouvais-je réaliser cet exploit par l'intimidation... Cela valait le coup d'essayer.

Libérant une once supplémentaire de la magie enfouie en moi, avec pour seul et unique but de lui faire comprendre qu'elle n'avait aucune chance, j'eus un sourire carnassier - une simple façade destinée à ajouter à la mise en scène - alors qu'une voix rieuse sortait de ma gorge :
"Et toi, tu fais preuve de bien moins de jugeote que ce que j'attendais de ta race, dragonne."

Ah, mince... J'avais pris un ton un peu trop provoquant...

Invité

Là, je dois avouer qu'il m'a prise de court. Soit il est fou, soit il est inconscient, soit il me provoque délibérément.
Une personne ayant un tant soit peu l'instinct de conservation ne s'aviserait jamais de répondre comme ça à un dragon.
Mais il n'est pas déplaisant de voir autre chose que de la peur dans les yeux d'un adversaire.

La dernière fois était il y a une éternité. Mais la dernière fois, je ne me suis pas méfiée et j'ai perdu un oeil.
Curieux comme ce genre de souvenir remonte soudainement.

Je le revoit encore. Un loup garou. Il n'y avait aucune trace de peur dans ses yeux. Seulement la soif de sang.
J'étais sous forme humaine ce jour-là. Donc vulnérable. Sinon ses pauvres griffes n'auraient pu m'atteindre. J'aurais dû me douter que c'était imprudent face à un loup de la taille d'un cheval pesant un bon demi-quintal.
Bref.
Un hurlement, un éclair de fourrure grise, une vive douleur et puis soudain l'odeur du sang et la moitié du monde qui disparaît dans les ténèbres.
Mais ça n'a pas augmenté son espérance de vie. Je l'ai réduit en cendres d'un seul jet de flamme au moment où il croyait m'arracher la tête d'un second coup de patte.

Et aujourd'hui, je croise un autre être, qui semble ignorer la peur.
C'est amusant en fin de compte.
Mais je ne ferais pas la même erreur deux fois.
Je suis impulsive, certes. Irréfléchie, certainement. Quoique, pas tant que ça.
Pas dans ce genre de situation.

Pour un dragon, la sagesse est une vertu primordiale.
Et malheureusement, du point de vue de mes aînés, j'en manque singulièrement depuis que je suis sortie de l'oeuf. Ceci dit, c'est cette même sagesse qui les pousse à se planquer dans les montagnes sans jamais sortir leur museau écailleux de leur grotte.
Chez eux, sagesse et peur se confondent étrangement.
Et pour eux, ce qui me conduit est la Folie.

Je me nourrit d'êtres intelligents, soit, ce qui à leurs yeux est répréhensible.
Humains, Elfes, Hybrides...ce n'est que de la viande à mes yeux. De la viande qui pense mais de la viande quand même.
J'amasse de l'or. En fait, je ne fait que ça. Je ne sais même pas moi-même pourquoi.
J'aime tuer.

Ils appellent ça de la Folie. Sans doute ont-ils raison. La Dragonne Folle. C'est ainsi qu'ils me nomment.
Moi j'appelle ça l'instinct de survie.

Rejetant la tête en arrière, j'éclate d'un rire hystérique, incapable de me retenir.
Ça aussi c'est peut-être la Folie. Qui rirait ainsi devant son adversaire sinon une folle?

Ma réaction l'a visiblement surpris. Quoique pas tant que ça. Après tout je lui ai montré les crocs tout à l'heure. Et comme j'ai rit à gorge déployée, je pense qu'il a une une vue pleine et entière sur ma dentition, qui même sous forme humaine est assez impressionnante et qui ne se contente pas simplement d'en avoir l'air. J'ai égorgé un cheval avec une fois.
Peut-être a-t-il aperçu le feu qui couve au fond de ma gorge.
Peut-être s'imagine-t-il avoir une chance de l'éteindre avec ce froid que je sens en lui.

Peut-être penses-t-il vraiment avoir une chance de s'en sortir. Et peut-être en a-t-il vraiment une. Mais ça n'a pas vraiment d'importance.
"Tu es au courant des risques que tu prends, Méphisto?"

"Tu es au courant des risques que tu prends, Méphisto ?"

"Méphisto ? Il doit y avoir erreur sur la personne... J'ai bien peur qu'il ne s'agisse là de l'un de mes "frères". À moins que "Méphisto" soit pour toi le moyen de désigner un démon ? Auquel cas j'en suis bien un, en effet."

Cette déclaration fut suivie d'un soupir de ma part : tant aveuglée par sa rage et sa soif de sang, la dragonne n'avait pas le moins du monde remarqué le danger que je représentais pour elle. Elle me parlait de risques, mais elle n'avait pas elle-même conscience de ceux qu'elle affrontait. Je croyais que les dragons pouvaient sentir la force d'un adversaire rien qu'à leurs sens : celle-ci devait avoir des sens émoussés. Après tout, qui était-elle par rapport à moi ?

Rien.

C'était aussi simple que cela. J'étais l'un des cinq Lieutenants des Enfers, et sûrement le plus redoutable d'entre eux en combat singulier. J'étais l'un des êtres les plus puissants des trois plans. Et qui était-elle ? Une dragonne. Pas même un Dragon Ancien. Juste une dragonne aux sens émoussés et à la sagesse oubliée. Un simple coup d'oeil aurait dû lui suffire pour déterminer que je n'étais pas un adversaire qu'elle pouvait espérer affronter d'égal à égal, et un second coup d'oeil aurait dû lui suffire pour comprendre que je n'avais que faire de son existence.

Tant qu'elle ne dérangeait pas la mienne, cela va de soit.

Hors, elle semblait déterminée à me rôtir sur place, sans même songer à ce qu'il pourrait advenir dans les minutes qui suivaient si jamais un combat éclatait réellement. L'un de ses deux yeux semblait avoir perdu la vue, et pas de manière naturelle. Une expérience aussi cuisante aurait pourtant dû calmer ses ardeurs. Hélas, son sang bouillait dans ses veines, de même que l'air autour d'elle se brouillait à cause de la chaleur qu'elle dégageait.

Alors que moi-même ne faisait que la toiser froidement du regard. Un regard dédaigneux. Une absence même de curiosité quant à son existence. Je n'avais que faire de cette allumette sur pattes. J'aurais pu songer à partir ailleurs. J'aurais pu. Après tout, je ne cherchais qu'à me détendre, et chercher la bagarre ne m'aurait rien apporté à ce sujet.

Mais j'étais là avant. Et pour cette simple raison puérile, je n'avais pas envie de céder ma place. Pour cette simple raison puérile, j'allais poursuivre cette conversation et tenter de l'apaiser.
"Mon nom de démon est Classius. Même si je préfère que l'on m'appelle Selephim. Selephim Seth. Et toi ? Quel est ton nom ?"

Invité

Selephim Seth. Classius. Le Démon du Froid.
Je suis à deux doigts de me battre avec un des cinq Lieutenants des Enfers. Pas étonnant que son aura soit aussi puissante.

Et à présent il me demande mon nom. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose.
Quel intérêt peut-il y trouver?
J'ai entendu des histoires, bien sûr. Comme quoi donner son nom à un démon revenait à vendre carrément son âme au diable.
Nommer une chose ou un être revient à avoir du pouvoir sur lui.
Et je ne tiens pas à me retrouver en Enfer. Si tant est qu'il existe un Enfer pour les dragons.

De toute façon, il est clair que le fait que je lui donne mon nom ou pas l'indiffère totalement.
Il s'informe.
Connais ton ennemi, encore une fois.
Mais dans ce cas, pourquoi m'a-t-il donné le sien?
Soit il s'imagine que cela va m'intimider, et dans ce cas il se trompe, car je suis bien plus coriace que j'en ai l'air, même sous cette apparence pitoyable, soit c'est une simple formalité.

Mais pourquoi un démon voudrait-il se présenter à un dragon?
À part s'il n'est pas ici par hasard, ce dont je doute fortement, je ne suis qu'une créature qu'il juge inférieure et dont l'existence n'a aucune valeur à ses yeux.
J'ai du mal à croire qu'un démon soit dans ce plan uniquement pour faire la conversation.
Mais si je garde le silence, peut-être le prendra-t-il pour un aveu de peur ou de faiblesse. Et il n'en est pas question.

Nous les dragons sommes plutôt perfides de nature, malgré la sagesse que nous élevons en vertu supérieure aux autres. Le langage est un de nos arts de prédilection
Nous ne mentons pas, ou très peu, bien que je fasse très souvent entorse à cette règle sacro-sainte pour les Anciens mais dépassée dans le monde actuel.
Tout l'art consiste à dire ce qui doit être dit et à taire ce qui doit être caché. Ni plus, ni moins.
Faire des détours, de belles phrases, contourner certaines vérités gênantes, dire des faits partiels, et ce qui n'est ni vrai ni faux.
La langue fourchue du reptile ne vient pas du serpent comme certains le croient.
Ce sont les dragons qui ont enseigné aux hommes la politique et la diplomatie. Beaucoup ont tendance à l'oublier.

Je choisis mes mots avec soin.
Je lui dirais mon nom usuel, éventuellement mon surnom s'il s'avère nécessaire. Mon nom en langage draconique, celui qui m'a été donné lors de mon éclosion et qui n'a pas été prononcé depuis des siècles, restera caché.

L'air commence à se troubler autour de moi, de fines volutes de vapeur sifflant sur ma peau. J'oblige le feu en moi à s'atténuer.
Prudence. Le dragon est un reptile. Et le reptile est méfiant de nature. Parfois, il est bon d'être la glace et non le feu. Même si celui qui couve au fond de vos entrailles n'a rien à envier à celui d'un volcan qui n'attend qu'une seule occasion pour entrer en éruption.
- Mon nom ne t'apprendras rien, Classius, ou Selephim Seth, peu importe, dis-je. Néanmoins, saches que pour les habitants de Myth, je suis Alayne Wyvern.
Il hausse un sourcil dédaigneux, semblant attendre la suite.
Je fais une pause, évaluant ce qui est bon à dire ou pas.
- Mais pour les miens, je suis la Dragonne Folle.

"Mon nom ne t'apprendras rien, Classius, ou Selephim Seth, peu importe. Néanmoins, sache que pour les habitants de Myth, je suis Alayne Wyvern. Mais pour les miens, je suis la Dragonne Folle."

Je retint immédiatement un fou rire qui me prit aux tripes. Pour les "siens". Elle avait prononcé cette partie avec tellement de dédain que son dégoût transparaissait directement sur son visage. Elle ne portait visiblement pas les siens dans son coeur.

Finalement, mon rire s'échappa, plus fort que ce que je put contenir.
"Ha ha ha ha ! La Dragonne Folle, rien que cela ? Ha ha ha !"
Immédiatement, la chaleur qui s'était atténuée autour de la dragonne revint avec plus de force encore. Mais je n'y pouvais rien. C'était plus fort que moi.
"Il ne m'a pas fallu deux secondes pour comprendre d'où tu tires ce surnom, Alayne Wyvern ! Les tiens se sont terrés dans leurs grottes, trop effrayés de subir la mort et les affres de la guerre. Mais toi, tu as su faire preuve de témérité. Et c'est cette même témérité qui a fait de toi un dragon dépourvu de sagesse aux yeux des autres, n'est-ce pas ? Ha ha ha !"

La chaleur autour de la dragonne sembla s'apaiser de nouveau, même si très peu. Il semblait que j'avais touché au coeur du problème avec mes paroles. L'énoncer à voix haute semblait avoir quelque peu calmé le jeu, mais mon rire restait insultant pour elle, cela ne faisait pas le moindre doute.

"Mais même si c'est ce courage, ce dégoût des décisions de tes anciens qui t'ont valu ce surnom, il me faut toutefois admettre qu'il te manque ce brin de sagesse qui définit pourtant ta race. Après tout, les décisions de tes anciens, aussi peu aguichantes soient-elles à tes yeux, n'étaient pas dépourvues de sagesse."

Car les dragons finissaient toujours par mourir une fois dehors. Toujours. Leur avidité légendaire leur apporta bien plus de problèmes que ce que l'on pouvait énoncer, et certains de ces problèmes leur coûtèrent la vie. De plus, c'était sans compter les propriétés magiques de leur corps. Dès qu'un dragon apparaissait en surface, l'Homme s'empressait d'aller le chasser pour acquérir divers matériaux rares, mais aussi gloire et fortune. Tôt ou tard, un homme plus puissant qu'un autre - ou plus malin - finissait par avoir raison d'un dragon. Et les hommes étaient infinis. Il leur suffisait de quelques petites années pour doubler leurs effectifs. Alors que les dragons périssaient, petit à petit.

Il était vrai que cette décision de se terrer dans des grottes, à l'abri de la menace, menait obligatoirement à une vie morose et sans palpitations, et je ne pouvais que compatir avec Alayne Wyvern. Mais cette même décision était là leur seule chance de survie dans ce monde qui ne pouvait plus les accueillir.

"Tu as oublié la sagesse. Tu en as oublié jusqu'à ta propre survie en ce monde. Car tu t'apprêtais à attaquer un démon qui ne faisait que se prélasser à l'air libre. Mais chercher l'affrontement revient à chercher le danger, et c'est ce même danger qui mettra fin à tes jours..."

Puis je lançais alors ma dernière menace. Si après cela, elle décidait d'en découdre, alors ainsi soit-il.
"...si ce n'est pas aujourd'hui même."

Invité

L'ironie de la situation me dépasse.
Je suis en train de parler à un démon depuis 5 minutes et ça ne s'est toujours pas terminé en bain de sang.
Je n'aime pas du tout son rire, ses menaces voilées et son ton condescendant, mais je dois reconnaître qu'il est distrayant.
Sans doute est-il comme moi. Sans doute s'ennuie-t-il et éprouve-t-il du plaisir à engager la conversation avec une créature dangereuse.

Aucun de nous deux n'est vraiment à sa place ici. Je suis sensée me cacher, loin de toutes les autres espèces, et lui n'a rien à faire dans ce plan physique.
Décidément, ce démon pique ma curiosité.
Il est différent. Comme moi.
Il est clair qu'il n'attaquera pas, sauf si je lui saute dessus, auquel cas il ne manquera pas de riposter.

Intéressant. D'habitude le premier réflexe qu'ont les gens lorsqu'ils rencontrent un dragon est soit de s'enfuir en hurlant soit d'attaquer.
Après tout, la plupart des gens ne rencontrent pas un dragon par hasard.
Pour certains, c'est le Graal. Vous n'imaginez pas le prix que peut atteindre un os, une écaille ou une dent de dragon au marché noir.
J'ai eu des chasseurs à mes trousses une grande partie de ma vie. C'est distrayant, mais passé un certain temps, ça devient franchement gênant.
C'est pourquoi que cette forme humaine est si pratique. Au moins je passe à peu près inaperçue.
Mais je n'ai aucune envie d'avoir les légions démoniaques sur les dos.

Je laisse le feu en moi s'éteindre peu à peu.
Ça fait parfois du bien de se poser et de parler avec quelqu'un qui n'a pas hurlé au monstre en vous voyant. Et il est évident qu'il n'a pas envie de se battre. Alors autant en profiter.

- Toi non plus, tu ne devrais pas être ici, démon. N'est-ce pas?
Il ne me répond pas. Il n'y a aucune émotion dans ses yeux écarlates.
- Si tu me tues, tu vas m'arracher mon âme pour l'envoyer aux Enfers? Parce qu'il ne se passera pas un jour, pas une heure sans que j'essaie de m'échapper.

"Toi non plus, tu ne devrais pas être ici, démon. N'est-ce pas? Si tu me tues, tu vas m'arracher mon âme pour l'envoyer aux Enfers? Parce qu'il ne se passera pas un jour, pas une heure sans que j'essaie de m'échapper."

Je la gratifiai d'un petit sourire en coin : maintenant qu'elle semblait s'être calmée, le dialogue allait être possible. Il n'y avait plus grand risque que je me fatigue pour rien, à présent.

"Si jamais je te tuais, alors il serait de mon devoir d'envoyer ton âme dans ma prison des Enfers. Après tout, mon rôle est de guider les âmes égarées jusque dans ma prison, afin d'éviter qu'elles ne causent d'inutiles ravages dans le monde des vivants auxquelles elles n'appartiennent plus. Et si jamais je te tuais, alors sache que tu n'aurais pas la moindre chance de t'échapper de ma prison. Des millions d'âmes ont déjà tenté avant toi, et des millions continueront de tenter après toi."

Laissant l'information atteindre son cerveau, je terminai ma tirade :
"Ceci étant dit, il s'agit du cas où je déciderai de te tuer. Et à présent que tu sembles plus pacifique, je n'en ai pas le moindre intérêt."

Pour l'instant, je tenais juste à ma tranquillité. Je n'avais que faire des états d'âme d'une dragonne peu farouche qui avait décidé, à cause de son sale caractère, d'interrompre ma méditation. Mais à présent qu'on en était à ce point, autant poursuivre avec un brin de causette. Aprés tout, connaître les tenants et aboutissants de la présence d'un dragon hors de sa tanière pouvait s'avérer utile, si ce n'était pas intéressant.

"Tu n'as pas trop de difficultés à vivre parmi les humains, dis-moi ?"

Invité

La question, posé sur un ton si banal, me surprends.
N'est-ce pas trop dur de vivre parmi les Humains?
N'importe quel dragon sain d'esprit aurait répondu oui.
Moi, je réponds non.
Cette forme humaine que j'adopte me semble ridiculement frêle et fragile par rapport à mon corps de dragon. De ce que je peux en déduire, cela signifie ce que sont tous les Humains.
Frêles et fragiles...

Je n'ai de lien d'amitié ou même de relation durable avec aucun d'entre eux. Ou bien un seul: le gérant de la taverne que je fréquente tous les jours depuis une petite centaine d'années. Trois générations de taverniers. Une grande histoire d'amour.
Ils sont si éphémères qu'ils vieillissent et meurent en un laps de temps qui est pour moi comme un battement de cil.
Un autre dragon aurait trouvé cela triste. Pas moi.
Un chasseur de prime m'a traqué toute sa vie, il y a quelques siècles, soit environ soixante ans.
Pour moi, cela représente à peine une petite journée.
Un vie...

Les Humains, à vrai dire, ont leurs avantages et leurs inconvénients.
Ils sont rustres, stupides, limités dans le temps, bavards, et certains ont la fâcheuse manie de poser leurs pattes dans des endroits indécents, auquel cas lesdites pattes finissent bien souvent par terre dans une petite flaque de sang. Mais à part ça...

Premier et principal avantage, ils sont comestibles, ce qui permet de ne pas trop se mettre en peine lorsqu'on a pas le temps pour traquer sa proie. C'est une viande qui ne manque pas de saveur. Il y en a un tous les quinze mètres et ils se multiplient comme des lapins. C'est si simple d'en choper un, de le rôtir et de le gober, et ça vous cale pour la journée.
Bon, sauf dans le cas où il porte une armure, auquel cas le feu est à déconseiller de peur que le fer fondu ne gâte la viande. Et ça craque sous les dents.

Ils ont une fâcheuse tendance à s'entretuer, ce qui est un avantage vu que pendant qu'ils se tapent dessus, ils ne se préoccupent pas de taper sur le dragon (alias moi).
Une fois, deux chevaliers se sont étripés mutuellement sous mon nez pour savoir lequel aurait l'honneur de combattre le monstre.
Je n'ai même pas eu à me battre. Il y en a, je vous jure...

Ce qui conduit à un autre avantage. Les Humains sont amusants et distrayants.
Ils sont aussi cupides que moi, voire plus, ce qui est un terrain sur lequel nous pouvons nous entendre.
J'ai travaillé pour les Humains. Souvent.
Nombre d'entre eux seraient près à tuer pour de l'or, exactement comme moi, et c'est là que j'interviens. Je leur offre mes services, ou ils me contactent, pour effectuer quelque menus travaux dont ils ne peuvent se charger seuls. Comme par exemple assassiner le voisin dans son lit, brûler un hameau pour rappeler un impôt ou une dette impayée, retrouver un fuyard...
C'est mon travail. Chasseuse de prime à temps plein depuis huit millénaire.
Et puis Myth est une ville agréable, malgré l'odeur.

Le démon semble attendre une réponse. Ses yeux écarlates sont curieux, et son aura s'est atténué. J'aurais pu qualifier cela d'inconscience, avec n'importe qui d'autre. Pas dans le cas de Selephim Seth, démon du froid et Lieutenant des Enfers.
Je me cure distraitement les canines de la pointe de l'ongle, puis lui souris d'un air carnassier.
"Tant qu'ils me paient bien, ça va. Et ils sont amusants."

"Tant qu'ils me paient bien, ça va. Et ils sont amusants."

Cette petite remarque fit naître un sourire au coin de ma bouche. Je pouvais concevoir sans peine que les humains, avec leur courte vie et leur faiblesse, agissaient parfois stupidement, tentant d'accomplir des choses hors de leur portée. Aux yeux d'autres humains, cela pouvait être considéré comme du courage, ou même un acte héroïque, mais aux yeux d'immortels tels que moi, ou d'êtres à l'incroyable longévité tels que la dragonne en face de moi, ces actes n'étaient que stupides. Après tout, pourquoi faire des choses qui les ammènerait à raccourcir leur vie déjà extrêmement courte ?

Tant de décisions ridicules qui pouvaient nous faire rire... Cela me désespérait, mais cela amusait beaucoup certains de mes camarades démons.

En ce qui me concernait, je ne me sentais pas de me balader au milieu des humains, dans l'une de leurs cités. Mon apparence ne passait guère inaperçue, même si je pouvais en changer à loisir. Mais j'étais tellement à l'aise dans cette apparence que je ne me voyais guère en changer.

Reportant à nouveau mon attention sur la dragonne, je lui fit part d'une de mes pensées.
"Il doit pourtant être difficile de vivre au milieu du gibier, non ?"

Invité

Gibier.
Oui, ça définit bien les Humains.
Mais je ne suis pas, ou je ne crois pas être une bête assoiffée de sang.
Je ne mange pas QUE des Humains.
Des animaux, aussi. Et puis je peux rester des mois sans manger. L'avantage d'être un reptile. Je digère lentement et mon métabolisme consomme peu.

Je n'ai jamais vraiment eu faim de toute mon existence.
La seule fois a aussi été celle où j'ai goûté à la chair humaine pour la première fois.
Je me rappelle de lui et pas des autres.
Il faisait froid, il neigeait, et je n'avais pas mangé depuis six mois. Six mois d'hiver, et pour la bonne raison qu'il n'y avait rien.
J'étais très jeune.
C'était un bûcheron.
Il ne m'intéressait pas au début et j'aurais pu le laisser partir. Sauf que cet imbécile s'est coupé avec sa hache.
L'odeur et la vue du sang...j'ai craqué.
Je n'ai vraiment réalisé ce que j'avais fait que lorsque j'en suis arrivée à la deuxième moitié du cadavre.
Je m'étais juré de ne pas recommencer.
Il ne faut jamais faire de serment.

Et puis, de toute façon, je sais pertinnement que je ne suis pas la seule à me mettre un humain sous la dent quand il n'y a rien d'autre.
Je suis la seule à ne pas m'en cacher, c'est tout.
Et cela fait bien deux ou trois mois que je n'ai dévoré aucun bipède pensant.

Je me rends compte qu'il me reste un morceau de viande entre les dents. De la vache de ce matin.
Je cure mes incisives du bout de l'ongle. Heureusement que ce n'est pas du mouton.
La laine grillée est excessivement difficile à enlever si elle se coince entre deux dents.

Visiblement, ce démon me prend pour un monstre anthropophage, et même si son visage n'exprime rien, il est clair qu'il est dégoûté.
Pourtant, comme moi, c'est un prédateur. Il devrait comprendre le plaisir de la chasse.
- Nous sommes en été, il fait beau, les troupeaux se portent à merveille, dis-je. Pourquoi irais-je faire rôtir un de ces Humains filandreux alors qu'il y dans les champs des bovins stupides qui n'ont pas d'autre but dans l'existence? Cet hiver, à la rigueur...
Je laisse passer un instant.
- Et je ne tue pas les Humains uniquement pour les manger. La majeure partie du temps, ce sont d'autre Humains qui me payent pour ça. Leur capacité à s'entretuer par tous les moyens possibles m'étonnera toujours.

"Et je ne tue pas les Humains uniquement pour les manger. La majeure partie du temps, ce sont d'autres Humains qui me payent pour ça. Leur capacité à s'entretuer par tous les moyen possibles m'étonnera toujours."

"Oui, je ne peux que confirmer cette dernière affirmation... Les humains sont avides, sur plus de plans encore que ta race. Et cette avidité les pousse aux conflits, à la guerre. Et de nos points de vue, ces guerres ne sont que ridicules."

Mais c'était sans parler de la bataille de Médiéval. Cette bataille avait entraîné de nombreux humains dans la mort, et aucun, voire très peu d'entre eux étaient là pour en parler, et personne de sensé n'oserait y croire. Depuis la cité de Myth, plus proche de Médiéval, mais toujours située à quelques lieues de là, les gens avaient pensé à une gigantesque tempête, une catastrophe naturelle d'une ampleur jamais vue, qui avait rasé la capitale qu'était Médiéval.

Mais qui oserait imaginer que cette immense bataille voyait s'affronter le peuple céleste contre des hordes démoniaques ? Peu de gens. Trop peu.

D'ici peu, une autre guerre allait être déclenchée, plus violente encore que la précédente. Et les humains n'en savaient rien.

"Un avertissement, toutefois, dragonne..."
Marquant une pause, je souris en pensant que j'allais sauver une existence qui ne m'importait guère... Oh... Sûrement n'avais-je point envie d'avoir à m'occuper d'une âme de dragon dans mes prisons...
"La guerre approche à grands pas. Une nouvelle guerre... Et si tu te trouves au mauvais endroit lorsqu'elle éclatera, ton existence pourrait se trouver en grand péril..."

Invité

Menace ou avertissement? Je ne saurais le dire.
Pour qui me prend-il?
Je sais ce qu'est une guerre. J'en ai vu des centaines, parfois déclenchées pour trois fois rien. Il suffit de si peu...
Un morceau de terrain mal placé, une dette impayée, une fille violée...
Les Humains sont comme des bottes de paille en présence d'un dragon. Prompt à s'enflammer.

Je ne suis pas assez stupide pour penser que les Démons et les Célestes en resteront là. La destruction d'une seule ville ne leur a certainement pas suffit, loin s'en faut.
Et je serais certainement au même endroit qu'en ce temps là. Ailleurs.
Même si je regretterais probablement la taverne. Et la famille du tavernier.
Peut-être les emmènerais-je en lieu sûr.
Ce sont MES Humains.

Je ne vois pas pourquoi je m'impliquerais dans un conflit qui n'est pas le mien. Dans une guerre, il y a forcément des...dommages collatéraux, et je ne tiens pas à en faire partie.
Les dragons sont ainsi. Nous ne faisons pas à proprement parler partie du monde. Nous n'agissons pas, encore une fois, nous observons et tirons de conclusions. La sagesse.
Et moi, j'ai enfreint cette sacro-sainte règle.
Et ça ne me fait absolument rien.

J'éclate de rire.
- Crois-tu, Classius, que j'ignore ce que c'est que la guerre? J'étais là, lorsque vous, les Démons, êtes tombés du Paradis. J'ai assisté à votre chute. Je vous ai vu combattre les Anges durant des siècles. J'ai vu la destruction de Médiéval. Est-ce que cela a changé quelque chose pour moi?

J'écarte largement les bras, lui faisant face.
- Rien, absolument rien n'a changé. Je suis ainsi depuis des millénaires. Lorsque tu étais ange, j'étais déjà une dragonne, je le suis resté lorsque tu es devenu démon, et je le serais encore si tu change de nature une nouvelle fois.

Peut-être la sagesse légendaire de mon peuple m'inspire-t-elle. Ou peut-être est-ce encore ma Folie. Peu importe.

- Cette guerre ne concerne que les Anges et les Démons. Je ne m'opposerais pas à toi, et je ne prendrais pas ton parti non plus. Mais si toi ou un Céleste venait à s'en prendre à moi, je serais obligé de riposter. Il n'y a rien de plus efficace pour tuer un démon qu'une bonne lame de métal en travers de la poitrine, si je me souviens bien.

Je sors ma dague et teste ostensiblement le tranchant du pouce, histoire de donner plus de poids à mes paroles.
J'aime cette arme. Elle est presque aussi vieille que moi. Forgée il y a des millénaires dans le.feu des dragons. Impossible à briser ou à émousser.
C'est une longue dague courbe dont la lame, gravée de runes, va en s'élargissant. Le pommeau incrusté de jade est en os de dragon.
Je la fais siffler dans l'air. Les arabesques étincelantes qu'elle trace dans les airs me fascinent toujours.

- Un lame comme celle-ci, par exemple. Je ne vais pas m'en servir sur toi, démon, mais tu ferais bien d'avertir tes semblables de ne pas s'en prendre à moi.

"Une lame comme celle-ci, par exemple. Je ne vais pas m'en servir sur toi, démon, mais tu ferais bien d'avertir tes semblables de ne pas s'en prendre à moi."

Suite à ce semblant de provocation, mon sang ne fit qu'un tour. Je n'avais que faire de ses provocations, mais sa folie me tapait sur les nerfs. J'avais en moi une sagesse, mais non pas une sagesse noble, non. Une sagesse qui me poussait à éradiquer la folie. A éradiquer la folie en inculquant, parfois de force, la connaissance.

Les ailes d'ombre se déployèrent soudainement dans mon dos, les tatouages se formèrent sur le dos de mes mains alors que je découvrais un sourire carnassier, effrayant même, qui aurait fait tomber dans les pommes plus d'un humain. Puis, sans que la dragonne en face de moi ne s'y attende, je me déplaçai juste devant elle, prenant son menton dans ma main et le relevant vers mon visage, alors que ma magie du froid se diffusait dans l'air autour de moi, transformant le souffle de la dragonne en une buée dense.

"Sache, petite sotte, que je n'ai que faire de mes semblables. Pour le peu que je suis concerné, ils pourraient tout aussi bien crever. Mais prends en compte le fait que contrairement à la guerre précédente, tout le monde va participer, y compris moi-même, ainsi que Lucifer et Dieu. C'est te rendre service que de te prévenir que tu vas y laisser la peau si jamais tu te trouves dans les parages..."

Maintenant ma prise, un sourire carnassier toujours affiché sur mon visage, je regardai Alayne dans les yeux et poursuivit ma tirade :
"Qui sait ? Peut-être finirais-tu gelée pour quelques siècles ?" dis-je alors que chaque inspiration brûlait tellement il faisait froid. "Peut-être pourrais-je alors expérimenter la magie sur un dragon ? Voilà quelque chose qui n'est pas fréquent, n'est-ce pas ?"

Lâchant la dragonne, je calmai ma magie, faisant revenir une température normale dans les lieux, alors que mon regard menaçant fixait toujours Alayne.
"Et sache donc que cette lame ne te protègera pas le moins du monde. Sans compter ce dont je suis capable, il existe un autre de mes frères qui présente la particularité d'être capable de forger tout et n'importe quoi... et de briser tout et n'importe quoi... Ton cure-dent ne sauvera que quelques minutes de ta vie..."

Invité

Froids.
Ses doigts sont froids. Froids comme la mort.
Je recule précipitamment.
J'ai l'impression d'avoir sa main sur la figure alors même qu'elle n'y est plus. C'est affreusement désagréable.
Mais je l'ai sans doute un peu cherché.

Je l'ai énervé. La diplomatie n'est décidémment pas mon fort, et la provocation sans doute inutile. Mais je ne peux pas m'en empêcher. Je suis comme ça.
Au fond, ce démon et moi nous ressemblons.
Nous méprisons nos semblables et n'avons que faire de leur sort.
Nous sommes tous les deux seuls.
C'est amusant de se trouver des points communs avec un démon finalement.

Son odeur me frappe soudain. Il sent l'Humain.
Ainsi donc, Selephim Seth, Lieutenant des Enfers, s'intéresse aux Hommes de près, au point de les cotoyer.
Une odeur en particulier couvre les autres, signe qu'il a été en contact plus longtemps avec cette personne.
Une odeur que j'ai déjà senti dans Myth.
Ma mémoire fait un bond en arrière.
Associée à une odeur de plante médicinale. Une rue passante. Une boutique. Une herboriste.
Je l'ai déjà vue, même si je n'ai fait que passer devant elle. Je n'oublie jamais une odeur.
Jeune, jolie, rousse.
Intéressant.

Ce démon est peut-être un peu plus ouvert d'esprit que ses semblables.
Peut-être au fond ne fait-il que me donner un conseil.
Mais je ne sais pas vraiment dans quel sens je dois le prendre.
Après tout, les démons n'ont jamais eu une grande considération pour les dragons, et inversement.
- Pourquoi chercherais-tu à sauver la vie d'une dragonne folle et borgne, démon?

"Pourquoi chercherais-tu à sauver la vie d'une dragonne folle et borgne, démon ?"

Voilà une question fort intéressante. Même moi je ne possédais pas la réponse à cette question pourtant banale. Qu'est-ce qui me poussait, en effet, à aider cette dragonne ? Ce n'était clairement pas la compassion ou même la pitié.

Non, la réponse était au final évidente. Elle s'imposa d'elle-même à mon esprit. Il s'agissait tout simplement de la seule chose que je ressentais vraiment, de la seule chose à laquelle je pouvais mettre un nom, la seule chose qui me permit d'avancer dans mon existence, malgré les conflits internes qui me ravageaient.

"Par curiosité." répondis-je simplement.

Devant son visage exprimant une certaine incompréhension, je ne pouvais que tenter de m'exprimer plus clairement sur le fond de ma propre pensée.
"La curiosité de voir vivre un dragon tel que toi parmi les humains. La curiosité sur pourquoi tu as décidé de vivre parmi eux, et comment tu t'y prends pour survivre. Egalement la curiosité d'étudier un dragon vivant. Des dragons morts, des ossements, ce n'est clairement pas ce qu'il manque : il suffit de poser ses yeux sur le sol et de chercher un peu. Mais un dragon vivant, c'est autre chose."

Oui... Je suis curieux. Tout simplement.

Invité

La curiosité.
Oui.
C'est évident.
Quoi d'autre que la curiosité peut amener un démon à sortir de son antre pour s'aventurer à Myth?
Du reste, je comprends. Les Humains sont amusants à observer. Ils sont tellement nombreux....
Et puis, il est vrai qu'un dragon n'est pas ce qu'il y a de plus commun, et qu'on n'en croise pas à tout les coins de rue. Il a dû en voir...allez, une dizaine dans sa vie? Alors bon, c'est normal d'être intéressé.
Pour une fois, je puis être moi-même sans masquer ma véritable nature.
J'avoue que parfois, le mensonge permanent est assez lourd à porter.
Mais ça ne veut pas dire que je vais lui raconter ma vie dans les moindres détails.
Avec les démons, moins vous en dites, mieux c'est.
Je m'assieds en tailleur sur un rocher.
- On va conclure un marché, Selephim Seth. Tu as droit à trois questions. Ni plus ni moins. En échange, tu m'en devras trois.
Je sais bien que les démons ne marchandent pas. En général, ils vous tuent d'abord et posent les questions ensuite.
Mais peut-être que celui-ci est différent.

"On va conclure un marché, Selephim Seth. Tu as droit à trois questions. Ni plus ni moins. En échange, tu m'en devras trois."

Ah ! Un être mortel qui essaie de marchander avec un démon de ma stature... Amusant ! Eh bien pourquoi pas ? Après tout, je n'avais rien à cacher, et les faits et gestes de ce dragon avaient su piquer ma curiosité.

"Très bien, j'accepte ce marché, dragonne." dis-je avec un sourire en coin.

Maintenant, je devais trouver les trois questions que j'avais l'intention de poser. Ces questions m'étaient limitées, mais si je pouvais en obtenir les réponses de bonne grâce, je n'allais très certainement pas me priver.

Réfléchissant un instant tout en me tenant le menton de mon pouce et de mon index, je cherchai les questions auxquelles je pourrais obtenir réponse. Cette dragonne étant partie de chez elle, je n'aurais que bien peu de rensignements sur les dragons à l'heure actuelle...

Je suppose qu'il me fallait bien commencer par un début, alors je regardai la dragonne dans les yeux et lui posai ma première question :
"Raconte-moi comment fais-tu pour vivre parmi les humains, malgré ton ascendance et tes appétits naturels."